Je voudrais commenter brièvement la citation de Jacques-Alain Miller que Katty Langelez-Stevens a introduite dans l’argument de PIPOL 12 : « la famille est formée par le Nom-du-Père, par le désir de la Mère, par les objets a […] la famille est essentiellement unie par un secret, elle est unie par un non-dit. […] C’est toujours un secret sur la jouissance : de quoi jouissent le père et la mère ? [1] ».
Donc, la famille, c’est le père, la mère et leur objet plus-de-jouir.
Cela concerne le malaise dans la famille au sens de l’institution familiale, au sens politique donc que nous pouvons y donner. Mais cela concerne aussi directement ce qui fait malaise dans sa biographie familiale pour un enfant, ou pour un adulte qui fait retour sur l’infantile.
Dans son Séminaire D’un Autre à l’autre, Lacan nous donne « une théorie de la biographie psychanalytique [2] » comme l’écrit J.-A. Miller. Dans toute biographie, un point échappe radicalement et c’est cependant ce point même qui est en cause dans tous les éléments de cette biographie. Il s’agit d’une jouissance située hors tout savoir possible. Je cite Lacan :« À son niveau, l’expérience analytique repère quelque part le point à l’infini de tout ce qui s’ordonne dans l’ordre des combinaisons signifiantes. Ce point à l’infini est irréductible, en tant qu’il concerne une certaine jouissance […]. Ce signifiant de la jouissance, signifiant exclu[…], est ce autour de quoi s’ordonnent toutes les biographies. [3] »
Il me semble que c’est aussi à cela que fait référence J.-A. Miller quand il actualise la définition de la famille aujourd’hui.
Ce signifiant exclu, c’est ce que Lacan va désigner plus tard dans son enseignement sous le terme de « la lettre », qui implique une réduction du sens, jusqu’à atteindre un bord de hors-sens, un bord de la jouissance qui ne peut se dire toute.
À ce niveau, ce ne sont pas les anecdotes familiales qui comptent, mais la manière dont s’y articulent savoir, jouissance et objet a. Lacan fait remarquer que trop souvent un analyste s’accoutume aux termes : « le père, la mère, la naissance d’un frère ou d’une petite sœur, et il considère ces termes comme primitifs, alors qu’ils ne prennent sens et poids qu’en raison de la place qu’ils tiennent dans l’articulation du savoir, de la jouissance et d’un certain objet [4] » .
Le psychanalyste doit, bien sûr, s’intéresser à l’histoire familiale de l’analysant, mais à condition de s’abstenir de comprendre trop vite, de croire trop vite à ce qui semble a priori traumatique, alors que le réel rencontré par le sujet enfant dépend de la manière dont une certaine jouissance s’est pour lui introduite là.
La biographie, en tant que tissu de ces anecdotes, n’est que le voile d’une impossible articulation complète de la jouissance en termes de savoir. Il faut que l’analyste le sache et ne se laisse pas séduire par le soi-disant statut « originel » de l’infantile en lien à la famille.
[1] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », in Sommer-Dupont V. & Vanderveken Y.(s/dir.), Enfants terribles et parents exaspérés, Paris, Navarin, 2023, p. 163.
[2] Miller J.-A., « Une lecture du Séminaire D’un Autre à l’autre », La Cause freudienne, no 66, mai 2007, p. 87.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre xvi, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 331.
[4] Ibid., p. 332.