Dans son argument pour la douzième édition de PIPOL, Katty Langelez-Stevens écrit que la famille, « à la racine de l’institution humaine […] est aussi le point de départ de toutes les autres, et singulièrement des institutions de soins [1] ». Or, par quels discours celles-ci sont-elles peuplées et traversées ? Les intervenants en institutions sont issus de l’université et des écoles supérieures. Les enseignements qui y sont dispensés visent explicitement à faire rencontrer aux étudiants une pluralité de discours, dans un mouvement œcuménique dont l’effet premier est de faire l’économie des conséquences que ces discours convoient. Comme le formule Lacan dans le Séminaire XV : « Tout ce qui nous est distribué [par l’université], c’est un savoir dosé de façon telle qu’il n’ait en fait, en aucun cas, aucune espèce de conséquence [2] ».
En ces lieux d’enseignement, si une dimension de l’idéal continue d’exister au sujet des enfants et des parents, c’est en termes de classification, de norme et de performance. Cette dimension s’actualise dans un champ sémantique toujours plus vaste de troubles, de dysfonctionnements, ou de gratifications (haut potentiel), témoignant de la gloutonnerie de « l’Autre de la demande », qui expulse de l’interlocution toute langue privée au profit d’une nomination normative : l’enfant est ceci, l’enfant a cela. Et parfois : « Voici ce qu’il faut faire ! ». Daniel Roy, dans son allocution à la journée Parents exaspérés – Enfants terribles, parle d’une « zone d’aliénation signifiante [occultant] ce qui circule comme désir et ce qui se dépose de jouissance en jeu [3] ».
Cette occultation revient à nier que « [l]’homme naît dans les fers. Il est prisonnier du langage, et son statut premier est d’être objet. Cause du désir de ses parents, s’il est chanceux. S’il ne l’est pas, déchet de leurs jouissances [4] ». J’avais apprécié la façon dont D. Roy reprenait ce passage, non du côté d’un ou bien ou bien (être chanceux ou pas) mais par un et, et faisant valoir « la possibilité pour un enfant de déchiffrer les coordonnées de la place qu’il occupe pour ses parents comme “ cause de leur désir” et comme “ déchet de leurs jouissances” [5] », décryptage qui occupe aussi une part de toute analyse.
À défendre que la famille est le lieu de l’Autre de la langue, qu’elle est de l’ordre d’une religion privée et que nous avons avant tout à apprendre la langue qui s’y parle, nous portons une responsabilité politique. Espérer des intervenants en institutions de soins qu’ils entrevoient l’incidence des lalangues dans leur abord du symptôme, l’incidence du « secret sur la jouissance [6] » du père et de la mère qu’elles enserrent, suppose un engagement averti et décidé dans la transmission de notre orientation de travail et de son éthique. Il s’agit de faire entendre une autre voie/x.
[1] https://www.europsychoanalysis.eu/malaise-dans-la-famille-pipol-12/
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2024, p. 26.
[3] Roy D., Texte prononcé le 13 mars 2021 à l’issue de la 6e Journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant « Parents exaspérés – Enfants terribles », disponible sur internet.
https://institut-enfant.fr/orientation/presentation-du-theme/parents-exasperes-enfants-terribles/
[4] Miller J.-A., préface à Hélène Bonnaud, L’inconscient de l’enfant, Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin, 2013, p. 11.
[5] Roy D., op. cit.
[6] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », Lettre mensuelle, n° 250, juillet / août 2006, p. 9.